Notre premier Lacandon en tenue, chargé de l’accueil des touristes, s’appelle Chambor (je ne vais pas tarder à me rendre compte qu’ils sont nombreux à porter ce prénom). Il se propose d’être
notre guide et nous acceptons. Surtout pour « laisser » un peu d’argent à la communauté dont nous savons qu’elle en a bien besoin.
Le contact avec lui est excellent. Je joue un moment avec son fils (environ dix ans, les cheveux longs, la tunique longue blanche, on dirait une fille, rires, mais il est très beau) à
cache-cache. Leur langue, un Maya très ancien, est hachée, mais à la fois très belle. J’adorerais l’apprendre. Ils utilisent leur idiome entre eux, mais parlent tous (enfants et adultes) un
espagnol impeccable. Nous y reviendrons plus tard, car cela fait partie de l’uniformisation qui leur est imposée et les tue à petit feu. Chambor nous apprend d’abord les rudiments de la vie
quotidienne des Lacandons autrefois, et leurs légendes. En regardant un « mural », il nous explique qu’autrefois, il se disait que l’aigle royal kidnappait les bébés pour nourrir sa
propre nichée, et que les Lacandons ont inventé la canasta (rotin tissé) en forme de cloche notamment, pour protéger leurs bébés. Ils croyaient aussi en un monstre de la Selva, très poilu, avec
les pieds à l’envers, et sans visage. Si on tombait sur lui, la seule issue était de se dévêtir et de danser. Cela faisait tordre de rire le monstre et permettait à sa proie potentielle de
s’enfuir.
Chambor nous montre aussi les rituels mortuaires de ses ancêtres, et comment on enterrait les sages dans leur hamac, mains croisées, genoux repliés.
Certaines traditions ont perduré. Aujourd’hui encore, les femmes sont chargées de l’artisanat tandis que les hommes chassent et cultivent (notamment le maïs, le frijol et la mispa).
Sur le chemin à la pyramide, Chambor nous raconte que Bonampak était une cité d’érudits (astronomes, architectes, écrivains, peintres) et qu’ici étaient formés les futurs gouvernants du pays. Des
liens étroits autant que commerciaux les unissaient aux caciques de Teotihuacan. Les érudits de Bonampak furent appelés à Cuernavaca et partirent à pied ( !!!!). Au retour, leur guide se
trompa et ils arrivèrent par erreur à Puebla, où le peintre leur montra les techniques de reproduction utilisées là-bas (d’où la similitude des peintures retrouvées à Puebla et Bonampak). Les
Lacandons furent une civilisation très avancée pendant plusieurs siècles. Chambor nous explique que sa fin, en dehors des théories fumeuses sur les extra-terrestres, serait due au manque d’eau,
nécessaire notamment pour les constructions, mais surtout à la rébellion du peuple devant le nombre croissant de sacrifices exigés par les sages pour contenter les dieux de la nature. Chambor
conclue dans un sourire : « toute l’élite a disparu et nous croyons qu’elle s’est réincarnée dans les animaux, jaguar, singe-araignée, aigle royal), tandis que nous descendons du petit
peuple vainqueur. » Il revient aussi sur le calendrier Maya et le fait que nous en serions au « quinta sol » (5ème soleil), et sur l’histoire du 21 décembre 2012. Il
n’est pas question de « fin du monde », assure-t-il, mais de changement profond surtout en raison des troubles climatiques que nous provoquons.
Parvenus à la pyramide, il nous détaille tous les dessins. Ayant été réalisés, il y a 1300 ans, ils souffrent du temps et sont altérés, donc l’explication se fait dehors, et à la fin, nous
entrons quelques instants admirer les originaux. Au retour, je demande à Chambor comment il a assimilé autant de choses sur son peuple. Il répond en souriant : « en étudiant ». En
fait, il est parti pendant quatre ans (faire le vigile) et est revenu en 2007. A la même époque, un chercheur de Cuernavaca est venu – gratuitement – chez les Lacandons et leur a enseigné tout ce
qu’ils devaient savoir sur leurs origines et l’histoire de Bonampak et Yaxchilán. Les Lacandons ont donc fait une demande d’accréditation pour être guides officiels auprès du gouvernement.
L’accord a tardé ( !!!) mais depuis février 2010, ils sont guides officiels. Même si les insignes ne sont toujours pas arrivés ( !!!)…
Nous papotons beaucoup avec lui. Il est charmant. Ce qui l’intéresse surtout, c’est de savoir quels animaux de la jungle nous avons croisé pendant nos voyages. Il déplore : « Tu le
crois ? Depuis le temps que je vis ici, je n’ai jamais vu un jaguar en face. Les traces, oui, mais pas la bête, pff… » Il est vraiment dépité. Je considère, pour ma part, qu’il vaut
peut-être mieux que la rencontre n’ait pas eu lieu ? En revanche, quand je lui parle des coatis, il s’emporte presque : « Surtout, ne prends jamais cet animal chez toi (euh,
non, je n’en avais pas l’intention), c’est trop facétieux, ça vole toute la nourriture ». Merci du conseil. Nous parlons aussi de Traven. Il ne le connaît pas mais connaît son œuvre.
Il a vu le film « La rebelion de los colgados ». Je lui parle du cycle de La Caoba. Il est tout ouie, et me donne son mail ( !!!) pour que je lui en dise plus. De retour au camp,
je joue à nouveau avec son fils. Chambor nous invite à dormir chez lui, mais la perspective de manger du singe ne m’emballe pas. En revanche, je lui promets que nous reviendrons et qu’alors, oui,
je dormirai chez lui (mais hors de question d’y aller sans acheter des présents de remerciement au préalable, et sans faire le plein de produits anti-moustiques).
Dans tout ça, pris par l’enthousiasme de cette découverte, nous en avons oublié de « déjeuner ». Il est 17 heures, et un petit-gros creux fait grimacer l’estomac. J’ai repéré sur le
bord de la route un « jacal » sympa, à San Javier, le restaurant « La selva ». Nous l’ignorons encore, mais un grand moment nous y attend.