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31 Mar

Pourquoi mon livre s'appelle "Squelettes en sucre" ?

Publié par Gracianne  - Catégories :  #Livres et auteurs

L'interview de Gracianne Hastoy

Livre : Squelettes en sucre

Sous-titre : histoires indigènes de la province d'Oaxaca

Editeur : Séguier (Paris)

ISBN : 978-2-8404-9605-2

Prix : 22 euros

 

 

Rédaction : Après cinq ans d'absence, vous revenez avec un sujet totalement différent sur le Mexique. Est-ce à dire que vous tenez la promesse faite il y a cinq ans de ne plus jamais écrire sur le Pays basque ?

 

Gracianne Hastoy : Exact, à une exception près, celle de continuer à intervenir chaque fois qu'on me le demandera sur les sorcières de Zugarramurdi. C'est pour cela que j'ai accepté de préfacer le livre de Régis Duvignau sur le sujet il y a quelques mois ("Pays de Sorcières", éditions Atlantica). En dehors de cela, l'expérience "Mikel et Soledad", co-écrit avec Jean Chalvidant, m'a effectivement fait décider de ne plus écrire de romans sur le Pays basque. De toute manière, cela tombait bien, le Mexique était là, et j'avais une furieuse envie de transformer ma passion pour ce pays en livre. C'est ma seule façon de dire que j'aime, somme toute.

 

Rédaction : Ok, alors un livre sur le Mexique, on a déjà vu, non ?

 

Gracianne Hastoy : Pensez-donc ! Celui-là est unique (rires). D'abord, parce que même s'il est signé de moi, je ne suis que celle qui retranscrit, mais toutes les nouvelles que je traite ici m'ont été racontées par des indigènes du Mexique. En fait, je ne suis qu'un transfuge. Depuis B. Traven, peu de livres "mexicains" ont parlé des indigènes. Il y en a, bien sûr, mais peu de romans, peu de nouvelles. Il y a la parole des historiens, des politiques, des narcos (très à la mode), mais la situation toujours catastrophique des indigènes au Mexique intéresse peu. En outre, le Chiapas focalise un peu toute l'attention, des ONG et autres, et j'étais un peu agacée que dans ma province, Oaxaca, on ne soit pas assez "pauvres" pour susciter l'intérêt, alors que 50% des gamins y sont en dénutrition. C'est ma façon d'alerter et de sensibiliser à ce coin de paradis qui cache beaucoup de misère.

 

Rédaction : Il paraît qu'on vous appelle "la guëra" là-bas, qu'est-ce que ça signifie ?

 

Gracianne Hastoy : Guëra, guëreja, je ne compte plus (rires). Ca signifie "la blanche", rien de bien original à ça. Mais si vous voulez mon avis, je préfère être surnommée ainsi que "gringa" qui reste toujours aussi péjoratif.

 

Rédaction : 2010, vous avez choisi sciemment de sortir ce livre en cette année importante pour le Mexique ?

 

Gracianne Hastoy : Oui. C'est en effet une grosse année pour le Mexique, puisqu'on y célèbre les 200 ans de l'Indépendance et le centenaire de la Révolution. Je crois que c'est le moment de faire le point. On a vu, il y a quelques jours, que l'homme le plus riche du monde est un Mexicain, Carlos Slim. C'est fou, parce que le pays a beaucoup souffert de l'impact touristique de la grippe A (rappelez-vous, il y a un an, tout a démarré de là-bas), paye cher le prix sur une économie déjà fragile, bataille dans la guerre contre les narcos avec quelque 600 morts par mois rien que pour la ville de Ciudad Juarez, et dans le même temps, nous sort le type le plus riche du monde. Voilà, c'est ça mon livre, toutes ces ambivalences, ces paradoxes. C'est fascinant, non ?

 

Rédaction : Vous avez dit tout à l'heure "ma" province, en parlant d'Oaxaca. Vous vous y êtes installée définitivement ?

 

Gracianne Hastoy : Je suis encore en transit entre le Pays basque et le Mexique, mais il est évident que mon avenir est là-bas. J'y ai trouvé beaucoup de réponses personnelles, et le Mexique m'a beaucoup "construite". Revenir en France est à chaque fois plus difficile. Il faut dire que ce que devient la France en ce moment, surtout quand on s'en éloigne un peu, est un peu fou. Vue de loin, elle est ridicule. Nous sommes à côté de la plaque, c'est grave ! Là-bas, mais comme tous les gens qui voyagent, j'ai réappris la simplicité, l'authenticité, vivre de façon plus sommaire, moins confortable certes, mais aussi plus écologique. J'ai vu des émissions de télé, il y a peu, en France, où l'on envoie des gamins difficiles passer une semaine à l'étranger, pour les calmer. C'est tout le monde qu'il faudrait "recadrer" de la sorte. Se rappeler que ça ne tombe pas tout cuit dans l'assiette. Je vais vous raconter une anecdote qui m'a marquée. L'an dernier, au moment de la grippe A, justement, je me suis retrouvée coincée au Mexique, sans possibilité de rentrer en Europe comme prévu (Bachelot s'était un peu affolée pour rien, mais bon, elle a fait pire après !). Je m'inquiétais parce que je n'avais pas apporté assez d'argent pour un séjour aussi long. Et un indigène m'a dit gentiment et avec un grand sourire : "si nous pouvons survivre ici toute l'année, tu pourras bien survivre quelques semaines de plus, non ? Un poisson, des fruits, tu ne vas pas mourir de faim". Ca m'a définitivement calmée. Il avait tellement raison !

 

Rédaction : Vous ne prononcez jamais le mot "Indien" mais "Indigène" ?

 

Gracianne Hastoy : Ben c'est quand même grave que depuis plus de 500 ans, on trimballe une erreur dialectique pareille. C'est quand même parce que ce bougre de Colomb s'est gourré en 1492 qu'on les a appelés les "Indiens". Donc j'essaie toujours de dire Amérindien ou Indigène, mais parfois, je fais comme tout le monde – les Mexicains aussi le font, hélas ! – et j'utilise le mot "Indien". Je m'en veux après coup, mais c'est un réflexe. Je me soigne, docteur, je me soigne… Pourtant le sujet me tient à cœur, et je bataille, il y a encore tant à faire. Je ne suis pas ce qu'on appelle une révolutionnaire, mais quand je constate la situation des indigènes au Mexique, j'ai vraiment envie d'agir. Ce livre est une modeste pierre à l'édifice, et j'espère qu'il sera reçu ainsi. Il essaie de montrer qu'ils sont détenteurs de l'histoire de ce pays, de ses traditions, de sa culture. Au lieu d'en avoir honte (la Conquista a fait son travail de sape, normal !), il faut qu'ils réapprennent à en être fiers.

 

Rédaction : D'autres projets en cours sur le Mexique ?

 

Gracianne Hastoy : Oui, un roman biographique sur une chamane fameuse de Huautla de Jimenez. Je demeure surprise que le Mexique sache si mal parler de lui, avec cette pudeur chevillée au corps. Les Mexicains ont encore du mal avec leurs idoles. Frida Kahlo est un peu l'exception. Mais d'autres personnages comme Sor Juana de la Cruz (heureusement portée à la notoriété par le grand Octavio Paz) ou Maria Sabina qui sont tout aussi emblématiques n'ont pas encore eu droit à la reconnaissance internationale grâce à des biographies. Je vais essayer, à ma modeste façon, de changer les choses. Avec des mots… comme toujours.

 

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Une autre vision du Mexique...